Réflexion du Carême, père Jean Roudy Denois, psj
« Si je veux connaître l’état de santé de ma communauté chrétienne,
je me demande :
« Est-ce que les boiteux marchent ?
Car le cri des pauvres est la voix de Dieu. »
Mgr Bernard Hubert
En ce temps de Carême, temps de prière, de conversion et de solidarité fraternelle, nous vous faisons parvenir une réflexion sur la pertinence sociale de la foi dans notre société, Lève-toi et marche, proposée par père Jean Roudy Denois, psj, vicaire général, modérateur de la curie diocésaine et responsable du Service diocésain des ressources humaines.
Bon Carême !
Le Service diocésain des ressources humaines
Jésus lui dit : « Lève-toi, prends ton brancard, et marche. » Jean 5, 8
En écrivant cet article, j’ai repensé à mes cours de philosophie durant mon baccalauréat à l’Institut de philosophie du Grand séminaire Notre-Dame d’Haïti. Nombreux sont les philosophes, Karl Marx, Ludwig Feuerbach, Friedrich Nietzche, qui définissent la religion comme facteur et source d’aliénation de l’être humain. Chez Feuerbach, la religion est considérée comme une aliénation avec laquelle l’homme, conscient de ses faiblesses, projette en Dieu ses propres besoins et caractéristiques en les sublimant1. Karl Marx a eu cette phrase célèbre : « La religion est l’opium du peuple ! » Il faut la bannir pour que l’humain puisse retrouver sa liberté originelle. Selon lui, le prêtre ou le pasteur protestant prêche la résignation, la soumission et l’acceptation de la souffrance pour endoctriner et endormir la conscience des fidèles.
Aujourd’hui encore pour beaucoup de nos contemporains, la religion ou l’Église catholique peut être considérée comme aliénation : une religion qui prêche la résignation et qui s’occupe uniquement de ses petites cuisines internes loin des vraies préoccupations du monde.
Cependant un petit tour dans la Bible et dans les différents documents du magistère qui élaborent la pensée de la doctrine sociale de l’Église catholique, Rerum Novarum (1891), Quadragesimo Anno (1931), Mater et Magistra (1963), Pacem in terris (1963) Populorum Progressio (1967), Laborem Excercens (1981), Solicitudo Rei Socialis (1987), Centesimus Annus (1991), Laudato si’ (2015) et tant d’autres, nous permettra de voir que les réalités du monde ne sont pas loin de celles des communautés chrétiennes. Elles sont au cœur de la mission que Jésus a confiée à son Église. Dieu aime le monde et veut que nous soyons HEUREUX. « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jean 3, 16).
Les Pères du concile Vatican II rappellent cette étroite solidarité de l’Église avec l’ensemble de la famille humaine :
Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. Leur communauté, en effet, s’édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l’Esprit Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et porteurs d’un message de salut qu’il faut proposer à tous. La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire2.
Quand nous parcourons la Bible, le Nouveau Testament, beaucoup de textes sont porteurs de joie et d’espérance pour l’humain : noces à Cana (Jean 2, 1-11), guérison d’un lépreux (Mt 8, 1-4), guérison de la belle-mère de Pierre (Marc 1, 29- 34), pêche miraculeuse (Luc 5, 1-11), multiplication des pains (Lc 9, 10-17), guérison d’un aveugle-né (Jean 9, 1-11), guérison d’un enfant possédé (Lc 9, 37- 43), guérison de la fille de Jaïre (Marc 5, 35-43), Pierre (Ac 3, 6), guérison de la femme courbée (Luc 13, 10-17), etc.
Ces textes révèlent la grandeur de l’amour de Dieu pour l’humanité. Le message qu’ils nous communiquent est libérateur et salvifique. Le plus grand désir du cœur de Dieu est de sauver l’humain.
Pour cet article, je retiens le texte de la multiplication des pains (Luc 9, 10-17). Devant la faim, la souffrance de son peuple, Dieu ne peut pas rester les bras croisés. Comme dit l’auteur du psaume 33 : « Un pauvre crie ; le Seigneur entend : il le sauve de toutes ses angoisses. »
L’être humain aspire au bonheur. Dieu veut notre bonheur. Notre Dieu n’est pas l’ami de la misère. Il ne prend pas plaisir dans la souffrance de l’autre. Il est toujours du côté de ceux et celles qui souffrent.
« Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule. Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés » (Luc 9, 16-17a). Cette bénédiction et ces gestes de Jésus soulignent la dimension pratique et efficace de la charité. En donnant à manger à la foule, Jésus pose un geste rempli de compassion. Il remet l’humain debout. Il lui redonne sa dignité. Par ce miracle de multiplication des pains, Jésus nous fait entrer dans le monde de l’espérance. Les maladies, les échecs, le chômage, les difficultés ne sont pas les terminus de notre vie. Ainsi, pour toi qui lis ces lignes, tout n’est pas fini. Jésus est avec toi. N’aie pas peur. Lève-toi et marche.
Nous sommes là devant un appel à travailler pour l’humanisation des personnes et la solidarité fraternelle dans le monde. Car c’est au cœur des luttes, au cœur du « réel » de la vie des gens que nous pouvons découvrir le Seigneur. Dans sa première encyclique Redemptor hominis (1979), saint Jean-Paul II disait que « si la route principale de l’Église est le Christ Rédempteur, sa route quotidienne est l’être humain3. » Le monde dans lequel nous vivons, Dieu nous l’a confié pour que nous y instaurions la paix, l’amour, la justice, la fraternité.
Ce passage biblique dessine la justesse parfaite dans nos relations avec Dieu et avec nos prochains. Personnellement, je connais beaucoup de chrétiens qui, au nom de leur baptême, s’engagent et participent à des organismes communautaires ou à des fondations qui militent pour le respect et la dignité de la personne humaine. Les baptisés qui attendent le retour du Christ, la vision béatifique, s’engagent dans les réalités de la vie de leurs villes et villages. Cette attente de la promesse éternelle se prépare dans l’action. Les joies et les peines du monde sont aussi notre lot.
La Parole de Dieu nous pousse à nous indigner, à combattre l’injustice, le kidnapping, la guerre, le réchauffement climatique, les violences conjugales, les féminicides. Elle nous invite à prendre position, à nous mettre du côté des pauvres, des marginalisés et à militer pour la justice dans notre monde afin que des hommes et des femmes puissent se lever et marcher dignement avec fierté.
Militer pour la justice, le respect et la dignité de la vie humaine et de tout ce qui l’entoure (l’environnement) est déjà une forme d’évangélisation. « Le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l’Évangile » lisons-nous au numéro 7 du document de la deuxième Assemblée générale du Synode des Évêques de 1971 sur les thèmes : La justice dans le monde et le sacerdoce ministériel4.
Durant la pandémie, à la demande de Mgr Claude Hamelin, les membres des équipes pastorales, des assemblées de fabrique et les bénévoles sont demeurés en tenue de service pour que les citoyens, citoyennes des paroisses puissent rester debout. Au-delà de la souffrance, cette crise a fait émerger des sommets d’humanité et de solidarité. « L’Église ne peut demeurer insensible à tout ce qui sert au vrai bien de l’homme, comme elle ne peut demeurer indifférente à ce qui le menace5. »
Dans le diocèse de Saint-Jean-Longueuil, depuis plusieurs années, beaucoup d’agents et d’agentes de pastorale en paroisse reçoivent un mandat de l’évêque pour la pastorale sociale. Au Centre diocésain, un agent de pastorale est mandaté à temps plein comme responsable diocésain du Service de la pastorale sociale. C’est un service essentiel à la mission de l’Église présente au cœur du monde.
Mgr Bernard Hubert, évêque du diocèse de 1978 à 1996, était reconnu et respecté pour son engagement pour la justice et la pertinence sociale de la foi6 dans le quotidien des réalités que vivent les diocésains et diocésaines. Pour lui, la foi est aussi action. Elle s’incarne dans les paroles et les gestes d’espérance et de charité que nous posons envers les pauvres, les exclus et les plus faibles de notre société :
Les membres de l’Église, qu’ils soient laïcs, religieux, prêtres ou évêques, sont partie prenante de la société dans laquelle ils sont appelés à vivre. Ils sont donc engagés dans la vie de la cité ; la vie de la cité, c’est la politique : non pas celle des formations partisanes qui présentent des programmes afin de faire élire des représentants qui assumeront le gouvernement de la cité, mais en un sens plus large celle qui englobe les dimensions économique, sociale et culturelle de la vie en société7.
Les paroisses travaillent en partenariat avec les différents organismes du milieu qui viennent en aide aux plus démunis de la communauté. Beaucoup d’entre elles offrent des services de l’aide alimentaire, des jardins communautaires, des friperies, des Aubaines, des bazars, des visites fraternelles et distributions des habits et de la nourriture aux itinérants, le Frigo du coin, Développement et Paix, des haltes d’accueil pour les réfugiés, les migrants et les travailleurs agricoles, des espaces pour briser la solitude, etc.
Ici, je soulignerais le travail qui est fait à la Halte Marie-Rose8 et au Phare de Longueuil9, deux formes complémentaires de pastorale de l’Église en sortie. L’Église en sortie, c’est celle qui se laisse conduire par l’Esprit pour aller à la rencontre de tous ceux et celles, sans distinction, qui ont soif d’une parole de réconfort et aussi pour « porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur » (Luc 4, 18b-19).
Lève-toi et marche ! En terminant, j’aimerais reprendre ces paroles de Mgr Bernard Hubert qui nous interpellent encore aujourd’hui à être constamment attentifs aux différentes réalités qui nous entourent et à être l’écoute des cris de nos frères et sœurs dans le besoin : « Si je veux connaître l’état de santé de ma communauté chrétienne, je me demande : « Est-ce que les boiteux marchent ? » Car le cri des pauvres est la voix de Dieu10. »
Père Jean Roudy Denois, psj jeanroudy.denois@dsjl.org