Nous sommes des aveugles (Jn 9, 1-38)
Un mardi soir, j’avais de la difficulté à voir à l’intérieur de mon auto. Je touchais plusieurs boutons dans l’auto, ça ne marchait pas. J’étais un peu paniqué à cause de l’obscurité. Me retrouvant face à mes limites, le lendemain j’ai demandé à l’abbé Yves Le Pain, s’il avait une idée de ce qui avait causé le problème. Il m’a dit : « Il y a un bouton près de la porte du chauffeur qui s’appelle rhéostat, il permet de contrôler l’intensité de la lumière, touche-le et ça va marcher. » Je l’ai fait, la lumière revenait et c’était pour moi une grande joie. De même que quelqu’un a ouvert mes yeux au rhéostat, Jésus a ouvert les yeux de l’aveugle en ce 4e dimanche de Carême, dimanche de laetare (dimanche de la joie).
Ainsi, nous nous retrouvons en présence de 3 problèmes dans la péricope d’évangile d’aujourd’hui : le premier problème concerne la cécité naturelle de l’aveugle-né. Il était un rejeté, un sujet d’opprobre et de honte dans sa communauté parce qu’au temps de Jésus, quel qu’un qui avait eu un accident, une déformation corporelle, un problème de vision était considéré comme ayant eu une punition divine à cause de ses péchés ou ceux de ses parents.
Le deuxième dilemme retrouvé dans l’évangile est la cécité spirituelle de cet homme. Il n’avait pas connu Jésus, mais il était ouvert à l’accueillir dans sa vie.
Le troisième malentendu est la cécité spirituelle des pharisiens, confinés dans leur surcroit doctrinal, ils refusent d’accueillir la lumière du Christ pour aller vers les souffrants de la vie. Jésus est venu en contradiction avec tout cela, pour proposer un autre modèle de leadership. Par un simple geste, Jésus décrit des qualités inaliénables d’un leader de communauté : écouter les cris de son peuple, être à l’affut aux besoins des gens et être prêt à se faire déranger pour servir. Par conséquent, tous ces aspects échappaient aux pharisiens. La chose la plus importante pour eux, c’est que les humains doivent être au service de la loi et non la loi au service des humains. Ces paradoxes nous amènent à parler de 3 points dans cette homélie : l’initiative de Jésus d’aller vers l’aveugle, la cécité spirituelle et ma rencontre personnelle avec le Christ.
1-Quand Jésus s’arrêta en route et prit l’initiative d’aller vers l’aveugle-né pour le guérir de sa cécité physique, il invita les pharisiens à la conversion. Il voulait leur dire que même s’ils ne pouvaient pas faire de grandes choses pour les aveugles, les blessés de la vie, au moins ils peuvent passer du temps avec eux, prier avec eux, prier pour eux. C’est en ce sens que le père Borno Saint Charles disait: « Pour comprendre le niveau de civilisation d’une société, vérifiez les traitements qui sont donnés aux handicapés et aux personnes âgées »[1]. Le Canada est bien placé en termes de regard sur la personne humaine. Guéri de sa cécité naturelle et spirituelle, cet homme nouveau est devenu tout de suite un témoin convaincu de la foi au Christ, au point de répondre aux pharisiens : « Je ne sais pas qui m’a guéri, je ne connais pas sa religion, ni ses ancêtres, l’essentiel, j’étais aveugle, maintenant je vois. Et si vous voulez accueillir sa lumière, vous ne serez plus aveugles spirituellement ».
2-Cécité spirituelle : Nous sommes aveugles quand nous sommes remplis de nous-mêmes et nous n’avons pas de place pour accueillir la nouveauté. Nous voyons nos forces et non nos faiblesses. Nous ne nous ouvrons pas aux propositions des autres, nous faisons des jugements rapides et nous n’acceptons pas l’offre de lumière que Jésus est venu nous proposer. Nous ne sommes pas aveugles parce que nous lisons la Bible, nous connaissons la Tradition de l’Église, nous avons les écrits des évêques, nous avons rencontré le Christ, nous sommes témoins de ses miracles dans notre vie, nous avons fait la catéchèse, nous trouvons des chrétiens qui nous aident à vivre notre foi. Cette connaissance de Dieu nous rend moins sévères à juger les autres qui ne connaissent pas encore la vérité, qui parfois ont commis des erreurs. Puisque nous ne sommes plus aveugles, nous pouvons proposer le Christ aux jeunes, intensifier les visites d’amitié dans les résidences, les hôpitaux.
Enfin, comme la Samaritaine et l’aveugle restauré, contagieux par leur rencontre avec le Christ au point de donner témoignage, nous pouvons partir pour aller dire aux hommes et aux femmes de notre temps comment nous avons rencontré Jésus. Et c’est avec le témoignage de ma rencontre personnelle avec le Christ que je vais terminer l’homélie.
3-Je suis né d’une famille catholique de 36 enfants (frères, sœurs, neveux et nièces). J’ai appris la foi de ma mère. J’ai fait le catéchisme à l’Église locale et dans mon école primaire à Pagesse/Boucan-Carré. Ma mère m’a tout appris et elle a eu un impact majeur sur ma vocation sacerdotale. Ma mère est une catholique dévouée qui, chaque jour, me pose des questions sur ma relation avec le Christ. Elle m’a appris à prier, à réciter le chapelet, à dire le Notre Père et à lire la Bible matin et soir. Je suis éternellement reconnaissant d’avoir grandi dans une famille unie, solidaire et spirituelle (une famille qui a aussi ses faiblesses). Dès mon entrée au séminaire, ma famille a soutenu ma vocation par ses prières et ses encouragements constants. Ma mère me disait toujours : « Fritz, réponds joyeusement à ta vocation, ma prière te soutiendra. Pendant mes 40 ans d’existence, de Haïti à Brooklyn/ New York, de Montréal à Saint-Jean-sur-Richelieu, je n’ai jamais trouvé une raison de regret d’être chrétien catholique. J’espère que c’est pareil pour vous!
De même que Jésus a ouvert les yeux de l’aveugle-né qui était abandonné par sa famille, haï par les ennemis du Christ, rejeté par le système de son temps, ma maman a alimenté ma vocation sacerdotale.
Conscients de nos limites et notre vulnérabilité, laissons Jésus faire ce pèlerinage de foi avec nous dans la prière, le jeûne, la pénitence, la proximité aux rejetés de l’histoire afin qu’il éclaire notre cécité intérieure par la lumière pascale.
Bonne route vers Pâques!
Fritznel Mertyl, homélie du 19-20 mars 2023, 4e semaine de Carême
[1] Borno Saint Charles, Homélie de la messe de la pastorale haïtienne, paroisse Holy Family, diocèse Brooklyn/New York, 1er janvier 2020.