Lettre pastorale de Mgr Claude Hamelin, 4 octobre 2022

Lettre pastorale
Pour une Église renouvelée

Soyons témoins de la joie et de l’espérance
« Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes et des femmes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. » GAUDIAUM ET SPES, numéro 1

Si je débute cette lettre en citant le commencement de la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps du concile Vatican II c’est pour une double raison. D’abord parce que ma devise épiscopale s’en inspire : Joie et Espérance. Ensuite, parce que ce texte publié en 1965 est encore d’une cinglante actualité alors que nous sommes engagés dans notre démarche synodale diocésaine.
Il y a dans notre monde et dans notre Église des motifs de joie et d’espérance, mais aussi de tristesse et d’angoisse. Je voudrais attirer votre attention sur quelques-uns d’entre eux.
Je constate comme vous que la pandémie, la crise climatique et les guerres qui font rage ont des impacts majeurs sur notre monde. Les mois de distanciation et de confinement en réaction à la pandémie ont laissé des traces ; être témoins au quotidien des horreurs de la guerre et des signes inquiétants des changements climatiques ne laisse rien envisager de bon pour nous et les générations qui nous suivent. Toutes ces situations révèlent des fragilités : fragilité des personnes, des liens sociaux, des relations entre les peuples, des rapports avec notre maison commune.
Ici, chez nous, cette fragilité a plusieurs visages :
• Il y a la fragilité économique qui engendre la hausse du coût de la vie, la crise du logement et un écart grandissant entre riches et pauvres.
• Il y a la fragilité des personnes qui se voit dans la vulnérabilité de nos aînés, l’accroissement des problèmes de santé mentale, dont l’écoanxiété chez la majorité de nos jeunes, l’irritabilité et la violence, allant jusqu’au féminicide.
• Et j’espère que le nouveau gouvernement élu hier sera attentif à ces problèmes importants.

Comme citoyennes et citoyens et comme disciples du Christ, nous côtoyons la tristesse et l’angoisse au sein de nos familles, de nos amis, de nos quartiers, de nos communautés de foi. Nous voisinons la souffrance au quotidien. Et j’entends parfois des personnes me dire que face aux problèmes économiques et sociaux nous ne pouvons rien faire, que cela dépasse nos moyens ou que cela n’est finalement pas de notre ressort.
C’est dans ces moments-là que j’aime me rappeler les mots du Concile que je citais plus haut : « il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans le coeur des disciples du Christ. » C’est parce que nous faisons partie d’une seule et même grande famille humaine, c’est parce que nous avons à coeur l’épanouissement humain total des femmes et des hommes de ce temps, que nous ne pouvons rester indifférents face à ces situations.
C’est aussi pour cette raison que j’ai voulu, en solidarité avec l’Équipe de direction, le Conseil presbytéral et le Conseil diocésain de pastorale, nous engager depuis un an déjà dans une démarche synodale. Bien sûr, l’appel du pape François à préparer le Synode des évêques de 2023 en a été le déclencheur. Mais, comme je vous le rappelais l’année dernière, cette démarche nous la vivrons pour nous, pour nous mettre à l’écoute « de voies nouvelles de proximité, de réconfort et de compassion pour continuer d’annoncer la Bonne Nouvelle dans notre diocèse. »
Je le répète : la démarche synodale n’est pas juste une activité parmi tant d’autres. Il ne suffit pas de faire quelques « rencontres synodales » pour se donner bonne conscience et passer à autre chose. Se laisser renouveler comme Église demande que nous développions une manière synodale d’être et de faire Église pour annoncer l’Évangile aujourd’hui. Et cela débute par une attitude pastorale fondamentale : se mettre à l’écoute de ce que l’Esprit nous dit aujourd’hui au coeur des joies et des espoirs, des tristesses et des angoisses des femmes et des hommes de ce temps. C’est l’essence même du projet missionnaire qui nous habite : accueillir et révéler au monde la Parole qui libère et donne vie.
Se mettre à l’écoute de l’Esprit c’est aussi porter notre attention sur les pousses d’espérances qui font leur chemin dans notre diocèse. Ainsi, concernant notre démarche synodale, si je compte les personnes sondées par la firme Léger Marketing en septembre 2021, c’est plus de 2 300 personnes qui ont depuis un an partagé leurs joies et leurs espérances, de même que leurs tristesses et leurs angoisses sur le présent et l’avenir de notre Église diocésaine. Nous ne sommes qu’au début de ce processus, mais je constate avec joie que cela a commencé à générer une grande prise de parole nécessaire à l’instauration d’une culture synodale.
Je rappelle également que, malgré le départ de plusieurs membres de notre personnel pastoral, ce sont huit nouvelles personnes qui se joignent à nous cette année. Comment ne pas y voir un signe de renouvellement et d’espérance.

Un autre signe d’espérance est le pèlerinage pénitentiel que le pape François a effectué parmi nous en juillet dernier. Je suis conscient des limites d’un tel exercice. Je réalise comme vous qu’il reste tant à faire pour réparer le mal infligé et envisager un avenir en solidarité avec les peuples autochtones. Toutefois, cette visite est un signe d’espérance parce qu’elle ouvre à un avenir possible entre les diverses nations qui habitent ce territoire. Quand des hommes et des femmes de bonne volonté cherchent ensemble la paix et la réconciliation, dans la vérité, c’est l’Évangile qui s’actualise dans notre milieu. Nous ne pouvons que nous en réjouir, même si des pas énormes restent à franchir ensemble. Nos soeurs et frères autochtones, dont les membres de la communauté Saint-François-Xavier de Kahnawà:ke, espèrent que nous serons à leur écoute pour marcher ensemble sur ce chemin de réconciliation.
François a également profité de ce passage pour adresser un message à tous les acteurs pastoraux à l’occasion des vêpres qu’il a présidées à la cathédrale Notre-Dame de Québec. J’aimerais m’attarder un peu sur ce message que je vous invite à relire. Il appelle les leaders en Église à relever trois défis, en lien avec la joie et l’espérance des disciples du Christ.
Le premier défi : faire connaître Jésus aujourd’hui et maintenant, aux personnes de ce temps. Je le cite :
Nous ne pouvons pas prétendre communiquer la joie de la foi (…) en reproduisant des formes pastorales du passé. Il faut trouver de nouvelles voies pour annoncer le coeur de l’Évangile à ceux qui n’ont pas encore rencontré le Christ. Et cela suppose une créativité pastorale pour rejoindre les gens là où ils vivent, en n’attendant pas qu’ils viennent : là où ils vivent, en trouvant des occasions d’écoute, de dialogue et de rencontre.
Le deuxième défi que nous lance François : témoigner de la joie de l’Évangile en transformant celle-ci de l’intérieur.
François poursuit :
Vous êtes les protagonistes et les bâtisseurs d’une Église différente : humble, douce, miséricordieuse, une Église qui accompagne les processus, qui travaille avec détermination et sérénité à l’inculturation, qui valorise chacun et chaque diversité culturelle et religieuse. Offrons ce témoignage !
Finalement, et c’est le critère fondamental de la crédibilité que nous avons à rebâtir dans notre société québécoise, être une Église de la fraternité.
L’Église, rappelle François, sera un témoin crédible de l’Évangile dans la mesure où ses membres vivront la communion, en créant des occasions et des espaces pour que quiconque s’approche de la foi trouve une communauté accueillante, qui sait écouter, qui sait dialoguer, qui favorise une bonne qualité des relations.

Il y a de l’espérance dans ces paroles de François. Elles font écho à ce que des centaines de personnes nous ont mentionné dans les diverses rencontres qui ont été tenues au cours de la dernière année dans le cadre de notre démarche synodale diocésaine : « Soyez une Église accueillante pour tous ! » « Soyez de véritables témoins du Christ et de son message » « Soyez cohérents avec le message de l’Évangile. » « Soyez à la hauteur de l’Évangile. »
Parlant de cohérence, François a aussi rappelé la douleur et la honte que tous les chrétiens ressentent face aux abus sexuels commis envers les personnes mineures et vulnérables par des ministres de l’Église. Dans notre contexte québécois, les séries télé, les articles de journaux et les poursuites judiciaires nous rappellent constamment ces drames. Je vous demande de continuer à tout mettre en oeuvre pour protéger les personnes mineures et vulnérables et faire preuve de compassion envers les victimes, les survivants et leurs familles. Faisons de notre diocèse et de chacune de nos paroisses des endroits sûrs, sécuritaires et exemplaires dans la formation, la prévention et le traitement des abus.
Je reviens en terminant sur les résultats de la première étape de notre démarche synodale. Je tiens d’abord à remercier les membres des comités porteurs et de discernement pour le travail accompli. Le rapport synthèse diocésain indique des pistes que je souhaite voir explorer au cours de la prochaine année.
Je vous rappelle que nous ne faisons qu’entrer dans cette première étape d’écoute et de rencontre. Pour qu’elle porte ses fruits, elle demande que nous y consacrions davantage de temps. Du temps pour rencontrer et écouter encore plus les membres de nos communautés, sur des sujets variés, mais aussi et surtout les personnes marquées par l’angoisse et la tristesse, par l’isolement, par la pauvreté. Méfions-nous des conclusions hâtives qui nous feraient envisager tout de suite ce qui est bon pour les autres, mais qui nous dispenseraient de les écouter vraiment. Et surtout, mettons de côté toutes formes de paternalisme religieux qui nous placerait dans la posture de ceux et celles qui savent, face à celles et ceux qui ne savent pas. Aucun dialogue vrai ne peut s’établir dans ces conditions.
Si, et cela se comprend, nous avons consacré d’abord nos énergies à rencontrer et écouter les personnes qui nous sont les plus proches (paroissiennes et paroissiens, nos bénévoles, les membres de nos mouvements, de nos communautés religieuses), je souhaite vivement que, dans cette deuxième étape de notre démarche, nous dépassions ce premier cercle de proximité pour aller vers celles et ceux qui ont tant à nous apprendre et à nous évangéliser pour que notre Église soit réellement ouverte et accueillante à tous.
Dans l’année qui vient, j’aimerais voir surgir dans chacun de nos milieux des occasions, des temps, des lieux et des espaces (peut-être en dehors de nos murs) pour donner la parole au plus grand nombre et discerner comment la Parole de Dieu agit dans les coeurs sincères. Ne le faisons pas comme une corvée, mais comme une démarche missionnaire, comme un processus permanent nous permettant de nous ajuster au projet de Dieu sur notre monde, à l’exemple de l’interpellation du Seigneur envers François d’Assise : « Va, François, répare mon Église ! »

Allons écouter ce que nos diocésaines et diocésains portent comme angoisse face à la situation économique, l’environnement, la place des aînés. Allons écouter ce qui fait la joie des femmes et des hommes d’ici. Allons à la rencontre des jeunes, des familles, des pauvres, de celles et ceux qui ne partagent pas notre foi ou qui ne se reconnaissent plus dans l’Église. Allons à la rencontre de nos soeurs et frères d’autres confessions chrétiennes et d’autres convictions religieuses. Ces personnes nous les croisons déjà dans le cadre des activités catéchétiques, lors des rencontres avec les endeuillés, les futurs mariés, les parents qui présentent leur enfant au baptême.
Mais il y a aussi dans nos milieux des groupes communautaires, des mouvements, des tables de concertation, des entreprises, des commerces et des organismes d’entraide qui méritent d’être rencontrés et écoutés. Allons à leur rencontre ! Sortons de nos ornières, de nos lieux communs, de nos habitudes ! Provoquons des occasions fraternelles, joyeuses, ouvertes et accueillantes dans lesquelles chacune et chacun pourra exprimer ses désirs envers notre Église afin qu’elle réponde davantage aux quêtes humaines et spirituelles d’aujourd’hui. Faisons preuve de créativité, d’audace : je sais que nous en sommes capables.
Et les sujets ne manquent pas pour amorcer et approfondir le dialogue. J’en nomme quelques-uns : la place et le rôle des femmes dans notre Église ; le leadership dans nos communautés ; les enjeux sociaux, écologiques et économiques actuels ; l’accueil inconditionnel ; les nouveaux lieux d’écoute et de partage de la Parole ; la solidarité entre les générations ; les moyens de communiquer la foi aujourd’hui ; le renouvellement de nos liturgies ; la recherche spirituelle contemporaine ; la formation de notre personnel pastoral, des bénévoles et de tous les baptisés. Tous ces sujets, et bien d’autres peuvent être explorés afin d’identifier ce qui doit être l’objet de notre sollicitude pastorale pour les années à venir.
Au coeur de ces rencontres, écoutons avec les oreilles du coeur. Discernons avec ces personnes ce que l’Esprit dit à notre Église, ce qu’il inspire au Peuple de Dieu. C’est de cette écoute attentive et aimante que surgiront par la suite les projets et les actions dans lesquels nous nous engagerons pour l’avenir. C’est ainsi que notre Église se renouvellera, profondément, durablement, prophétiquement.
Cette démarche synodale en est une de conversion. Et dans toute conversion, il y a des tiraillements, des choix difficiles, des épreuves. Nous ne sommes pas engagés sur un chemin facile, mais sur un chemin difficile. Mais nous nous y engageons ensemble, les uns avec les autres, les uns pour les autres. Si le découragement nous assaille, comptons les uns sur les autres pour retrouver notre élan ; si nous rencontrons des résistances, faisons corps pour les dépasser ; si la peur nous paralyse, faisons-nous confiance ensemble. Partageons nos bons coups, échangeons sur ce que nous apprenons dans ce processus synodal, soyons fraternels entre nous : notre témoignage parlera davantage que tous nos documents et discours.

Car au plus profond de nous je sais, comme disait le prophète Jérémie qu’« il y a comme un feu brûlant dans nos coeurs (cf. Jer 20,9) » : le feu qu’a engendré l’amour de Dieu, en qui nous mettons notre joie et notre espérance.
Alors, au début de cette nouvelle année pastorale, restons en tenue de service ! Réjouissons-nous de voir notre Église se renouveler par la force de l’Esprit ! Soyons créateurs et créatrices d’avenir pour le monde et avec le monde ! Soyons des témoins de la joie et de l’espérance !

† Claude Hamelin
Évêque de Saint-Jean–Longueuil
Solidairement avec les membres de l’Équipe de direction :
Jean Roudy Denois, psj, Paul De Leeuw, Josée Lefebvre, Yvon Métras, Francine Vincent
Longueuil, le 4 octobre 2022